DOLEANCES DU TIERS-ETAT DE LA PAROISSE DE

HAUTE-GOULAINE,EVECHE DE NANTES, PROVINCE DE BRETAGNE,

DU 5 AVRIL 1789

L'an 1789, le dimanche 5 avril aussitôt après l'issue de la grand'messe de ce jour, après le son de la cloche à la manière accoutumée, en exécution des édits de sa Majesté des 24 Janvier et 16 mars dernier, et de l'ordonnance de Monsieur Bellabre sénéchal de Nantes du 24 mars dernier, étant assemblés au lieu ordinaire des délibérations publiques, en présence de M. Me Luc Veillet, avocat en parlement, sénéchal du marquisat de Goulaine, nous soussignés, habitants et domiciliés de la paroisse de Haute-Goulaine, âgés de vingt-cinq ans au moins, et formant le Tiers-Etat de la dite paroisse, pour remplir les vues bienfaisantes de sa majesté, qui invite tous ses sujets à lui exposer leurs plaintes et doléances, avons pris la respectueuses liberté de lui dire avec confiance, SIRE :

Nous désirons que notre province de Bretagne soit maintenue dans ses droits et privilèges comme par le passé et en entier aux termes du contrat d'union de la dite province à la France.

Nous nous plaignons d'être seuls assujettis à la corvée des grandes routes et nous en demandons la suppression en nature, sauf à y pourvoir autrement par une prestation en argent également supportable par toutes les propriétés soit du clergé, de la noblesse ou du Tiers-Etat, et encore à raison de l'aisance de ceux qui n'ont point de propriété foncière.

De l'inégalité de la répartition des impôts, qui fait que nous sommes trop surchargés ; et que nous demandons que toutes impositions mises et à mettre soient à l'avenir supportées d'une manière égale par chacun en proportion de sa fortune, sans distinction d'ordre ; qu'il n'y ait qu'un seul rôle pour tous, et qu'on supprime tous impôts particuliers, surtout le droit de franc fief qui grève les propriétés du Tiers-Etat et expose à autant d'inconvénients que d'injustices, sauf à remplacer les impôts particuliers par des impositions générales sur les propriétés des trois ordres indistinctement.

De la perception trop arbitraire des droits de contrôle; et demandons qu'il en soit fait un nouveau tarif ; que les exemplaires en soient répandus dans le public ; que l'interprétation des actes appartienne aux parties et non aux préposés ; que les contestations sur la perception des contrôles, centième denier et autres droits de cette espèce ne soient plus désormais portées devant les juges d'attribution, mais devant les plus prochains juges royaux des lieux ; que les préposés succombant soient condamnés aux dépens des parties plaignantes, et qu'ils ne puissent se prévaloir d'aucuns édits ou arrêts du conseil, qu'ils n'aient été consentis aux Etats, vérifiés et enregistrés dans les différents tribunaux de la province ; de plus, que les dits préposés ne puissent exiger le transport à leur bureau des registres de délibération des paroisses, ni l'examen et la représentation d'iceux.

De la perception faite depuis quinze à seize ans, par les préposés des contrôles, d'un droit de centième denier ou insinuation sur le prix des transports ou contrats de vigne à complant, puisque le colon de ces vignes ne peut être regardé comme un propriétaire foncier; il n'est au contraire que le cultivateur ou fermier de la superficie, à la charge d'une portion des fruits au profit du propriétaire foncier ; et nous demandons la suppression de ce droit, qu'il soit fait défense aux dits préposés de le percevoir et d'exiger aucun droit de centième denier dans les successions collatérales sur les vignes à complant, lequel droit ils ont exigé et perçu depuis qu'ils se sont avisés de prendre celui d'insinuation sur le prix des transports des dites vignes, sans que nous sachions s'ils y étaient légalement autorisés.

Du sort de la milice de terre ou de mer qui nous enlève des enfants utiles et nécessaires et qui favorise d'injustes exemptions. Nous en demandons la suppression, qu'il soit fait un fonds pour l'achat des dits miliciens, et que ce fonds soit pris sur les trois ordres de l'Etat.

Nous nous plaignons d'être assujettis à conduire les troupes et bagages jusqu'à Montaigu, distant de Nantes de huit lieues. Il nous faut aller charger à la cour de l'hôtel de ville de Nantes, et plusieurs ont trois lieues à faire pour s'y rendre. Cette longue route écrase les boeufs et fatigue les hommes. Nous demandons en conséquence à ne conduire les troupes et bagages que jusqu'à Aigrefeuille, distant de Nantes de quatre grandes lieues, qu'on ne fournisse des chevaux, que pour cet endroit ainsi que cela se pratiquait anciennement, que le salaire en soit augmenté et compté dans le jour à ceux qui auront fourni des charrettes et chevaux, et qu'on ait égard dans la répartition des impositions publiques aux paroisses sujettes à la corvée de la conduite des troupes et bagages.

De n'avoir eu jusqu'à présent aucun représentant aux Etats de la province. Nous souhaitons être admis à nous y faire représenter et que nos représentants soient au moins en nombre égal à celui des ordres privilégiés, et que leurs voix soient comptées par tête et non par ordre aux dits Etats comme à toute autre assemblée nationale, que les curés y soient appelés, et les habitants des campagnes comptés pour autant que ceux des villes.

De l'établissement des fuies existant en notre paroisse, qui servent de retraite à des pigeons que nous ne devons pas même tirer lorsqu'ils ravagent nos terres ensemencées. Nous en demandons la suppression. Ceux qui en ont auraient dû suivre l'exemple du seigneur supérieur de cette paroisse qui n'en a plus depuis très longtemps.

De la perception des lods et ventes sur les contrats d'échange, ce qui en empêche plusieurs de réunir et rapprocher leurs propriétés, d'ailleurs ce droit parait contraire au texte formel 1

de notre coutume, en conséquence, nous souhaitons que les contrats d'échange d'héritages égaux en valeur soient désormais déclarés exempts de lods et ventes.

De ce qu'il n'y a aucune loi positive relativement aux communs et vagues de cette province, ce qui occasionne une infinité de procès ruineux entre les seigneurs et les vassaux. En conséquence nous supplions sa majesté d'y pourvoir par un règlement qui fixe irrévocablement les droits des uns et des autres.

De la faculté accordée aux seigneurs de révoquer à leur gré les notaires procureurs postulants et fiscaux de leurs juridictions; et afin que les vassaux soient assurés désormais de trouver des défenseurs libres et non suspects, nous demandons que les dits officiers soient irrévocables comme le juge ou sénéchal, et que les juges des juridictions seigneurieuses soient autorisés à juger en dernier ressort nos causes personnelles de peu d'importance jusqu'à une certaine somme qu'il plaira à sa majesté de fixer.

La dîme étant le droit le plus onéreux que supportent les propriétaires des biens de campagne, nous désirerions que sa majesté supprimât la dîme en pourvoyant autrement à la subsistance des ministres des autels, soit en retranchant aux évêques, abbés, prieurs et gros bénéficiers une portion de leurs trop grands revenus, soit en réunissant aux cures tous les bénéfices des paroisses, ou enfin en réunissant toutes les dîmes ecclésiastiques au profit des curés des campagnes, en fixant en ce dernier cas en cette paroisse la dîne au vingt-six, ce qui suffirait à notre curé, qui ne possède que la moitié des dîmes, pour lui procurer une honnête subsistance.

Nous nous plaignons tous, et surtout nous autres métayers et fermiers des domaines du marquisat de Goulaine en notre paroisse, de ne pouvoir faire élection de tuteur, curateur, scellé, inventaire, vente, décret de mariage et reddition de compte de tutelle que devant des officiers de présidial de Nantes, ce qui nous constitue en des frais considérables et rend notre condition bien pire que celle des vassaux de ce marquisat, sans parler des dérangements que cela nous occasionne, principalement des voyages à Nantes ; en conséquence nous demandons à être admis à faire tous les actes ci-dessus devant les officiers du marquisat de Goulaine.

Des droits d'entrée que l'on perçoit depuis quelques temps sur les denrées de premières nécessité que nous portons vendre à Nantes, ce qui est une vexation d'autant plus injuste que nous ne sommes point obligés de contribuer aux charges, établissements ou embellissements de ladite ville, que nous ne connaissons point la destination du produit de ces droits. En conséquence nous en demandons la suppression.

Telles sont les plaintes, doléances et remontrances que nous avons délibéré et résolu de présenter à sa Majesté ; nous espérons de sa bonté paternelle et de son amour pour son peuple, qu'elle voudra bien les accueillir. Ce sont les voeux de la portion la plus fidèle de ses sujets. Fait et arrêté au lieu indiqué de l'assemblée sous les seings de ceux qui savent signer, les autres n'ayant pu faire signer pour eux,

M.THEBAUD - JUGUET, notaire et procureur - P. BERLET - AGUESSE

J.CESBRUN - Pierre GODEFROY - J. BABIN - Jean BOUREAU - JANEAU

J. PONTENEAU - J. BONNET, métayer - F. CATHELINEAU - BRAUD - MOREAU

P. FRUCHARD - P. BOUTIN - François HERVOIET - Jacques VISSONNEAU

François ALLE - Julien PAPIN - René JAMIN - Ne varietur, L. VEILLET.